Je suis un sociologue raté
Je suis un sociologue raté (c'est ce que je me dis souvent)
Je ne suis pas devenu un meilleur recruteur en lisant des livres de RH.
Je le suis devenu en observant les gens.
Dans les repas de famille, les files d’attente, les silences gênants entre deux collègues.
Je le suis devenu en écoutant ce qui se dit et surtout ce qui ne se dit pas.
Parce qu’avant de chercher à comprendre un profil, j’essaie de comprendre une dynamique. Un contexte. Une tension.
Et je crois que c’est ce que j’ai toujours fait, bien avant de faire ce métier.
Je regarde. Je questionne. Je cherche ce qui cloche ou ce qui sonne juste.
Je fais des liens. J’en efface. Puis j’en reconstruis d’autres.
Depuis toujours, je m’intéresse aux logiques humaines. À la façon dont on se comporte en groupe, à ce qu’on retient, à ce qu’on répète, à ce qu’on fuit. Mais à un moment, j’ai cru que ce regard-là n’avait pas sa place dans un cadre professionnel.
Alors je me suis conformé. J’ai appris les méthodes. Les matrices. Les étapes. J’ai appris à cocher les bonnes cases.
Mais plus j’avançais, plus j’avais le sentiment de passer à côté de l’essentiel.
On me demandait de recruter vite.
De mesurer l’engagement.
D’évaluer la performance.
De coller une grille sur ce qui, fondamentalement, résiste à la grille.
Et pendant un temps, j’ai joué le jeu. Jusqu’à ce que je réalise que mon vrai talent n’était pas là.
Mon métier, c’est de lire entre les lignes.
C’est de décoder les micro-frictions entre un candidat et un gestionnaire.
C’est de poser une question de plus quand tout le monde veut déjà conclure.
C’est de comprendre qu’un “oui” enthousiaste peut parfois cacher un “non” qui n’ose pas se dire.
Je ne suis pas sociologue.
Mais j’en ai gardé la posture. Celle de l’observateur engagé. Du regard qui cherche à comprendre, pas à juger.
Et surtout, du regard qui accepte de ne pas tout comprendre tout de suite.
Aujourd’hui, c’est cette posture-là qui m’accompagne dans toutes mes missions.
Quand je recrute, je ne cherche pas juste un CV. Je cherche une histoire qui va se connecter avec une autre.
Quand j’accompagne un gestionnaire, je ne lui donne pas une réponse.
Je lui tends un miroir.
Quand je doute, je prends le temps. Parce que précipiter un choix, c’est parfois créer une rupture plus grande que le problème qu’on tente de régler.
Je suis peut-être un sociologue raté.
Mais ce regard que j’ai cultivé malgré moi, c’est lui qui donne du sens à mon travail.
Et c’est lui qui m’aide à rester fidèle à ce que je suis, même dans un monde qui va vite.